Par Samuel Furfari republié les Blogs Factuel
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La COP28 semble pour certains avoir été une avancée, le mot « énergie » ayant été inclus pour la première fois dans les conclusions. La mention de la « transition vers le retrait » des énergies fossiles a fait sensation, mais à l’analyse du texte, les échappatoires sont si nombreuses qu’elles ont permis aux pays en développement de signer, car — comme pour l’Accord de Paris — rien ne les oblige à suivre l’exemple isolé de l’UE.
La Chine, considérée comme un pays en développement, n’a eu aucun mal à souscrire à l’accord. Quant aux pays producteurs de gaz — la Russie et les pays du Golfe, par exemple — ils sont même ravis, le gaz étant considéré comme une énergie de transition. Les grands perdants de la COP28 sont les ONG écologistes et l’UE, qui se retrouvent avec un texte non contraignant, dont le verbiage permet à chacun de faire ce qu’il veut, mais surtout d’avoir permis au nucléaire d’être considéré comme une énergie de transition. Ils ont applaudi, mais sans doute pour cacher la vacuité de cette COP.
Comme chaque fois, les derniers jours de cette 28e Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP) ont été marqués par une grande dramatisation, mais elle s’est terminée comme toujours par des applaudissements, des accolades et de l’émotion, comme si cette fois-ci nous avions accompli quelque chose d’extraordinaire. Pourtant, malgré les 27 COP précédentes, les émissions mondiales de CO₂ continuent de grimper. Jusqu’en 2022, elles ont augmenté de 61 % — grâce à la crise du Covid, sinon elles auraient été en hausse de 65 %.
L’énergie pour la première fois au centre d’un texte de la COP
Il est vrai que cette fois-ci, il y a deux innovations majeures. Dès le début, 22 pays ont conclu un accord pour développer l’énergie nucléaire. Même si c’est en marge de la conférence (voir mon article de 11 décembre sur ce blog), les écologistes vont boire la coupe jusqu’à la lie, car la COP28 restera comme celle du retour du nucléaire, puisque ces pays ont montré leur détermination à sa relance.
L’autre grande nouveauté, et cette fois dans les conclusions de l’accord, est que le mot « énergie » apparaît pour la première fois dans un document décisionnel. On pourrait même dire que la COP28 n’a pas porté sur le climat, mais sur l’énergie. Même dans l’accord de Paris, le mot énergie était absent. Cette fois, il apparaît 17 fois dans le texte de 21 pages, ce qui semble être une grande victoire des ONG écologistes.
Mais c’est une maigre consolation. Dans les textes des institutions internationales, chaque mot compte, comme nous allons le voir en analysant les points 28 et 29, la partie centrale, des conclusions de cette COP28.
Un catalogue de vœux pieux
Indiquer 28. Reconnaît en outre le besoin de réductions profondes, rapides et durables des émissions de gaz à effet de serre conformément aux trajectoires de 1,5 °C et appelle les Parties à contribuer aux efforts mondiaux suivants, d’une manière déterminée au niveau national, en tenant compte de l’Accord de Paris et de leurs différentes circonstances, trajectoires et approches nationales :
Les efforts doivent être déterminés au niveau national, c’est-à-dire que ces conclusions ne sont pas contraignantes ; chaque pays décide de ce qu’il entend faire. En outre, on reconnait que les pays en développement vivent des situations « différentes » et ne sont donc pas censés renoncer à la croissance de leur consommation d’énergie. Le mot « en développement » revient 47 fois dans le texte, ce qui démontre la détermination des pays en développement à ne pas suivre les mesures proposées par l’UE. Sans cette redondance, il n’y aurait tout simplement pas eu d’accord.
Rappelons que la Chine est un pays en développement au sens des Nations Unies. Rien ne s’applique donc à elle, et encore moins à l’Inde, alors que ces deux pays totalisent 38,6 % des émissions mondiales de CO₂.
(a) tripler la capacité d’énergie renouvelable au niveau mondial et doubler le taux annuel moyen mondial d’amélioration de l’efficacité énergétique d’ici 2030;
Le mot « capacité » est important, car les énergies renouvelables tolérées par les activistes — les éoliennes et les panneaux solaires photovoltaïques — sont intermittentes et variables. Leur facteur de charge moyen sur cinq ans dans l’UE est respectivement de 23 % et de 11 %. Une éolienne a donc besoin d’être accompagnée d’une centrale électrique contrôlable pendant plus des trois quarts du temps, et un parc solaire pendant 90 % du temps. Cela signifie que si l’on veut éviter les délestages, il faut aussi tripler la capacité installée des énergies non renouvelables. Comme les pays africains n’ont pas cette capacité déjà installée, il ne faut pas s’attendre à ce que les énergies renouvelables s’y développent. Les gouvernements commencent à se rendre compte qu’ils devraient avoir deux systèmes électriques fonctionnant en parallèle, ce qui est évidemment inutilement coûteux.
De plus, la construction et le montage de nouvelles installations d’énergie renouvelable ne se font pas avec de l’électricité produite par des énergies renouvelables, mais avec des minerais et autres produits extraits de la terre, traités, manipulés et transportés à l’aide de combustibles fossiles. Les 2 500 tonnes de béton qui constituent la base d’une éolienne et les 900 tonnes d’acier de son mât ne sont pas produites à partir de l’électricité générée par les éoliennes ou les panneaux solaires, mais à partir de combustibles fossiles. C’est un truisme, mais toute augmentation des infrastructures d’énergie renouvelable nécessitera davantage de combustibles fossiles pour les produire.
Quant à l’efficacité énergétique, si je souligne la pertinence évidente de cette mesure, comme je le montre dans un article sur le site de Science-climat-énergie (www.science-climat-energie.be), il ne faut pas se faire trop d’illusions, car nous avons suffisamment de recul pour comprendre que le paramètre de l’intensité énergétique, qui est l’indicateur essentiel pour mesurer la pertinence de l’efficacité énergétique, est en train d’atteindre une asymptote. Par exemple, le panneau isolant qui permettra d’économiser de l’énergie aura été produit à partir de combustibles fossiles. On risque de tourner en rond. Je viens d’entendre que certains écologistes s’opposent au double vitrage parce qu’il faut exploiter davantage de carrières de sable.
(b) Accélérer les efforts en vue de l’élimination progressive de l’électricité produite à partir du charbon sans abattement;
Il s’agit en effet d’accélérer les efforts, de supprimer progressivement l’électricité produite par la combustion du charbon sans capter les émissions de CO₂. Mais une fois de plus, cela s’appliquera aux pays de l’OCDE et non aux pays en développement, Chine en tête.
(c) Accélérer les efforts au niveau mondial pour parvenir à des systèmes énergétiques à émissions nettes nulles,
La vacuité de cette phrase ne mérite même pas un commentaire. Ce genre d’incongruité se produit parfois dans les documents négociés dans les instances internationales, lorsque personne ne comprend le sens de ce qu’un négociateur a inséré et cela finit par se retrouver dans le texte final.
(c) Accélérer les efforts à l’échelle mondiale pour mettre en place des systèmes énergétiques à émissions nettes nulles, en utilisant des combustibles sans carbone ou à faible teneur en carbone bien avant le milieu du siècle ou vers cette date;
Les personnes qui ont écrit cette phrase avaient probablement à l’esprit les carburants synthétiques. Ceux-ci n’existent pas, comme le suggère la fin de la phrase. De plus, pour les produire, à moins de croire à l’existence du mouvement perpétuel, il faut utiliser d’autres formes d’énergie, car l’énergie gratuite n’existe pas. Ces carburants de synthèse sont produits à partir d’hydrogène, une molécule qui n’existe pas dans la nature et qu’il faut produire à partir… d’énergie. Je vous renvoie à mon livre « L’utopie hydrogène » pour plus d’explications. Cet hydrogène doit réagir avec du CO₂ qui est produit par les combustibles fossiles ou bien capté dans l’atmosphère en dépensant d’énormes quantités d’énergie. La COP28 entre dans la science-fiction.
(d) « transitionner vers le retrait » (transitioning away) des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques, d’une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant les actions au cours de cette décennie critique, afin d’atteindre le niveau zéro d’ici 2050, conformément aux données scientifiques;
Ce néologisme difficilement traduisible a permis de trouver un accord entre les pays producteurs d’énergie fossile et ses détracteurs, en évitant « phasing out » (retrait progressif) qui avait déjà été refusé lors de la COP 26 à Glasgow au sujet du charbon. Non seulement ce verbe indique une vague transition, mais il est atténué par des garde-fous presque redondants « justes, ordonnés et équitables » pour s’assurer que ceux qui n’en ont pas les moyens n’ont pas à transitionner. Une fois de plus, les pays en développement — l’Afrique, la Chine et l’Inde en particulier — ne sont concernés que si la transition est « juste et équitable ». Cette échappatoire est si vague qu’elle pourrait même s’appliquer, par exemple, à certains États membres de l’UE.
Que vient faire l’expression « conformément aux données scientifiques » ? Pour souligner l’insistance du GIEC sur cette transition ? Pour faire plaisir à l’Arabie Saoudite, qui n’a que mollement remis en cause les thèses du GIEC, comme je l’ai souligné dans un autre article de cette semaine ?
(e) Accélérer les technologies à émissions nulles ou faibles, y compris, entre autres, les énergies renouvelables, le nucléaire, les technologies de réduction et d’élimination telles que le piégeage, l’utilisation et le stockage du carbone, en particulier dans les secteurs où il est difficile de réduire les émissions, et la production d’hydrogène à faible teneur en carbone;
C’est l’autre grande nouveauté de cette COP : le nucléaire est expressément mentionné. Il ne saurait être question d’évoquer les énergies renouvelables sans mentionner l’indispensable énergie nucléaire.
Dans ce paragraphe, les utilisateurs de charbon trouveront une échappatoire en mentionnant le captage du carbone, une technologie qui n’a jusqu’à présent aucune application industrielle si ce n’est celle qui permet de produire plus d’hydrocarbures par réinjection dans les puits afin d’augmenter la pression et de favoriser l’éjection du pétrole et du gaz.
(f) Accélérer et réduire sensiblement les émissions de dioxyde de carbone au niveau mondial, notamment les émissions de méthane, d’ici à 2030;
Ce paragraphe est une lapalissade utilisée depuis la Convention-cadre sur le changement climatique adoptée à Rio en 1992.
(g) Accélérer la réduction des émissions provenant des transports routiers sur une série de voies, notamment par le développement d’infrastructures et le déploiement rapide de véhicules à émissions nulles ou faibles;
Ce point est intéressant non pas pour ce qu’il dit, mais pour ce qu’il ne dit pas. Malgré la détestation des ONG écologistes, le transport aérien n’est pas mentionné. Il ne vous aura pas échappé qu’il est de plus en plus attaqué, alors qu’il a profondément amélioré les relations familiales entre des populations séparées momentanément par les modes de vie des hommes et des entreprises. Lorsque j’enseigne à mes étudiants la notion de coûts externes de l’énergie, si chère aux écologistes, je leur parle aussi des bénéfices internes de l’énergie, en l’illustrant par la joie des retrouvailles familiales que procure le transport aérien.
Et est-ce un hasard si l’aviation n’est pas condamnée ? Quinze jours avant cette conférence de l’ONU se tenait le Dubai Air Show, où des avions ont été achetés comme des petits pains, notamment par les compagnies aériennes des Émirats arabes unis, qui accueillaient cette COP (voir mon article ‘Le secteur de l’aviation est sur son petit nuage… ça plane pour lui !’ dans PAN.be).
Quant à la mention du développement des infrastructures routières, c’est le signe que la lutte contre les émissions de CO₂ n’est pas près de limiter le transport routier.
(h) Supprimer progressivement et dès que possible les subventions inefficaces aux combustibles fossiles qui ne permettent pas de lutter contre la pauvreté énergétique ou d’assurer des transitions équitables;
Dans cette phrase, chacun peut trouver ce qu’il veut défendre. Car le mot “inefficaces” non quantifié est relatif. L’efficacité des subventions en France ne peut se comparer à celle d’une subvention qui permet à un citoyen ou à un transporteur d’un pays pauvre de payer le carburant de son véhicule utilitaire. Par ailleurs, le paragraphe insiste sur le fait que si l’on veut lutter contre la pauvreté énergétique, il faut continuer à subventionner les énergies fossiles.
Les COP s’épuiseront bien avant l’utilisation des énergies fossiles
Indiquer 29. Reconnaît que les combustibles de transition peuvent jouer un rôle en facilitant la transition énergétique tout en assurant la sécurité énergétique;
Le terme “carburants de transition” est en effet pluriel. Il y a quelques années, même le Parlement européen considérait le gaz naturel comme une “énergie pont” sur la voie des énergies renouvelables ; j’ai plaisanté à l’époque en disant qu’il ne s’agissait pas d’un pont, mais d’un viaduc, car le gaz est irrévocable. Il est donc clair que pour la Russie et les États du Golfe — et peut-être même hypocritement pour Washington — tout tourne autour du gaz naturel. Le monde ne peut se passer d’utiliser de plus en plus de gaz naturel, une énergie propre, abondante, disponible et bon marché. Il suffit de voir comment l’Union européenne se démène pour remplacer le gaz russe par du gaz provenant d’une multitude d’autres pays, car nous savons que nous ne pourrons pas nous passer de cette énergie productrice de CO₂ avant longtemps.
Mais pour les pays disposant de réserves d’énergie fossile ― dont le charbon ― notamment en Afrique, ce paragraphe leur permet de produire leur propre énergie fossile pour la vendre, afin d’avoir les moyens financiers d’investir dans les énergies renouvelables coûteuses. C’est imparable : nous voulons passer au vert, mais nous avons besoin d’argent, que nous allons accumuler en vendant des combustibles fossiles ! Mais comme il n’y a pas de définition de cette expression étrange, même la Chine pourrait très bien prétendre que le charbon est son énergie de transition vers le gaz naturel ou le nucléaire ou les énergies renouvelables.
Mais surtout, ce paragraphe se termine par la priorité fondamentale de la sécurité de l’approvisionnement énergétique. Ce qui signifie que l’utilisation de l’argument irréfutable de la sécurité permet de faire tout ce que l’on veut.
De plus, alors que le point 28 sur l’énergie comporte huit sous-points, cette petite phrase forme à elle seule le point 29, comme si elle avait été ajoutée après la rédaction du point précédent, comme pour souligner la contradiction avec le reste du texte, comme pour montrer que c’est la vraie conclusion de la COP28.
Bravo aux Émirats arabes unis
Tout ce verbiage souligne la vacuité des COP depuis 1995. Chacun des 88 000 participants à Dubaï peut en tirer quelque chose, car c’est pour cela qu’ils se sont battus, quelle que soit la distance qui les sépare. En faisant croire que cette COP est un succès pour les adversaires des énergies fossiles, le sultan Al Jaber qui a présidé la COP28, a assuré que rien ne changera. Aurait-il lu ‘Le Guépard’ de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, qui dit que « Si nous voulons que tout reste en l’état, tout doit changer » ?
La COP29 se tiendra à Bakou, là où les Nobel et Rothschild ont contribué à la naissance de l’industrie pétrolière au 19e siècle. L’Azerbaïdjan est toujours très actif dans le pétrole, fournissant les 2/3 du pétrole utilisé par Israël, mais de plus en plus dans le gaz. La Serbie vient d’inaugurer un gazoduc vers la Bulgarie pour importer du gaz en provenance de Bakou. Ce pays du Caucase va lui aussi opérer une transition… vers plus d’énergies fossiles, tant pour lui que pour l’UE, qui le courtise pour obtenir du gaz non russe. Il y a fort à parier que la COP29 se terminera également en faveur des énergies fossiles.
En réalisant que la COP veut intervenir dans la gestion de la vie des gens à travers leur consommation, cela permettra aux Européens de manifester leur mécontentement lors des élections européennes du 9 juin 2024, car tout cela aboutit à leur imposer une énergie chère alors que le reste du monde continue d’utiliser une énergie abondante et bon marché.
COP ou pas COP, élections européennes ou pas, une chose est sûre : les émissions mondiales de CO₂ continueront d’augmenter.
Auteur
Samuel Furfari est un ingénieur polytechnicien et docteur en sciences appliquées de l’Université libre de Bruxelles.
Pendant 36 ans, il a été haut fonctionnaire à la Direction générale de l’énergie de la Commission européenne.
Il est professeur de géopolitique et de politique énergétique depuis 20 ans, actuellement à l’ESCP-Londres et pendant 18 ans à l’ Université Libre de Bruxelles.
Il est l’auteur de nombreux articles et de 18 livres sur l’énergie et le développement durable.
Son dernier livre est « Energy insecurity. The organised destruction of the EU’s competitiveness. »